L’analyste financier va se forger une opinion sur la performance et le risque d’une entreprise à partir de diverses informations la concernant, mais c’est surtout de la comparaison que naîtra le diagnostic. En effet, la même rentabilité peut être excellente dans un secteur d’activité et nettement insuffisante dans un autre. Il faut donc, pour mener une analyse financière, se documenter non seulement sur l’entreprise mais également sur ses concurrents et sur son secteur d’activité.
L’analyste financier collectera donc également des informations non financières qui vont le renseigner sur le contexte et donner du sens aux résultats de ses calculs.
1. Les matériaux non financiers
De nombreuses informations sont disponibles au Greffe du tribunal de commerce :
- extrait « K bis » sur lequel on trouvera notamment la date de création et la forme juridique de l’entreprise, l’identité de ses dirigeants, l’indication selon laquelle elle est propriétaire ou locataire de son fonds de commerce, …
- le détail des garanties données par l’entreprise (biens nantis ou hypothéqués)
- le détail des contrats de crédit-bail immobiliers
- les éventuels incidents de paiements de la part de l’entreprise.
La Banque de France collecte et centralise les bilans de centaines de milliers d’entreprises et publie des analyses sectorielles très utiles.
Enfin, les plaquettes de présentation de l’entreprise et de ses concurrents (communication institutionnelle, financière ou commerciale) donnent de nombreuses indications sur l’activité de l’entreprise et sur sa stratégie.
2. Les matériaux financiers
Les matériaux financiers comprennent le bilan et le compte de résultat. Ils sont publiés au moins annuellement par les sociétés (les entreprises les plus importantes et/ou celles faisant appel public à l’épargne publient des comptes semestriels, voire trimestriels).
Pour comprendre ces documents, il faudra étudier l’annexe qui comprend des informations capitales :
- explication de la variation de certains postes : immobilisations, amortissements et provisions,
- échéancier des créances et des dettes,
- engagements donnés et reçus mais non comptabilisés (engagements « hors bilan ») : crédit bail, effets escomptés non échus, cautions, etc ….
Le bilan décrit le patrimoine de l’entreprise à une date donnée. Ainsi, contrairement au compte de résultat, on parle du bilan « au 31/12/N » et non pas « de l’année N ». Il présente séparément :
- l’actif de l’entreprise, c’est-à-dire ce qu’elle possède : machines, stocks, créances, caisse, etc …
- le passif de l’entreprise, c’est-à-dire ce qu’elle doit (dettes envers ses banquiers, fournisseurs, …) ainsi que ses fonds propres (apports en capital et bénéfices accumulés).
On peut également considérer que l’actif regroupe les éléments que l’entreprise utilise pour les besoins de son activité et que le passif regroupe les ressources qui lui ont permis de se procurer ces éléments.
Les éléments de l’actif sont classés par ordre croissant de liquidité :
- l’actif immobilisé regroupe les emplois stables de l’entreprise : bâtiments, matériel industriel, licences acquises, cautions versées, etc …
- l’actif circulant regroupe les éléments qui ont vocation à se transformer rapidement : stocks, créances clients, argent en banque ou en caisse, etc …
Les éléments du passif sont classés par origine et par ordre croissant d’exigibilité :
- les fonds propres représentent les ressources mises à la disposition de l’entreprise par ses actionnaires (capital social) et/ou générées par l’activité de l’entreprise (bénéfices non distribués).
- les dettes sont classées selon leur origine : banques, fournisseurs, etc …
Le choix d’une date de clôture n’est pas neutre sur la présentation du bilan, en particulier lorsque l’activité est saisonnière. En effet, avant la pointe d’activité, l’entreprise aura payé ses fournisseurs et accumulé des stocks : la trésorerie sera donc au plus bas. En revanche, quelques mois plus tard, les stocks auront été vendus et les créances encaissées : la trésorerie sera donc au plus haut.
Ainsi, l’entreprise aura tendance à choisir la date de clôture qui lui permettra de donner de son bilan l’image la plus flatteuse possible.
Le compte de résultat est le tableau qui explique la formation du résultat de l’exercice. Ainsi on parle du compte de résultat « de l’année N » et non pas « au 31/12/N ». Il récapitule les produits et les charges de la période et, par différence, détermine le résultat de l’exercice :
- bénéfice si produits > charges,
- perte si charges > produits.
Le résultat de l’exercice est une notion distincte de la trésorerie car les produits et les charges sont comptabilisés indépendamment de leur encaissement ou de leur décaissement.
Les produits sont les ressources générées par l’activité de l’entreprise : essentiellement sa production, mais aussi les intérêts perçus, etc … Les charges d’un exercice sont les consommations nécessaires pour réaliser l’activité.
Les charges et les produits sont différents des achats et des ventes. La distinction est particulièrement importante en ce qui concerne les immobilisations, les stocks et les provisions :
♣ Immobilisations :
Une immobilisation est un bien qui va être utilisé, donc « consommé », pendant plusieurs exercices. Dans le cas d’une machine prévue pour être utilisée pendant 5 ans, la charge figurant au compte de résultat d’un exercice ne sera pas égale au prix d’achat de la machine mais à la constatation de son usure, de son « amortissement » (par simplification, 1/5e du prix d’achat).
♣ Stocks :
La consommation de matières premières ou de marchandises n’est pas nécessairement égale aux achats de l’exercice car le stock de l’exercice précédent a été consommé alors que – au contraire – une partie des achats de l’exercice n’a pas été consommée et reste en stock. Ainsi la ligne « variation de stock » doit être ajoutée au montant des achats pour obtenir la consommation de l’exercice :
Consommation = achats + SI – SF = achats + variation de stock (présentée parmi les charges)
De façon symétrique, pour les produits finis, la variation de stock permet de passer des ventes à la production :
Production = ventes + SF – SI = ventes + variation de stock (présentée parmi les produits)
♣ Provisions :
Le principe de prudence impose aux entreprises de comptabiliser une charge dès le moment où un risque d’appauvrissement apparaît, sans attendre sa réalisation. Lorsque le risque se réalise ou disparaît, la provision est alors reprise.
Les charges et les produits sont classés en trois catégories :
- les charges et les produits d’exploitation reflètent l’activité économique proprement dite de l’entreprise : ventes, achats de matières premières et de marchandises, salaires et cotisations sociales versés, dotation aux amortissements de l’outil de travail, etc ….
- les charges et les produits financiers reflètent l’activité de financement de l’entreprise : intérêts payés sur l’argent emprunté, intérêts perçus sur les sommes placées, etc ….
- les charges et les produits exceptionnels reflètent les opérations à caractère exceptionnel : dommages et intérêts versés ou reçus, vente d’une immobilisation, etc ….
Au sein de chaque catégorie, les produits et les charges sont détaillés selon leur nature (achat de biens, services, salaires, taxes, etc …).
3. Le retraitement des comptes annuels
Si les comptes annuels sont la matière essentielle du travail de l’analyste financier, ceux-ci ne sont toutefois pas directement exploitables et nécessitent certains retraitements, en particulier en ce qui concerne les contrats de crédit bail, les effets escomptés non échus et les actifs fictifs.
En effet, alors que le comptable traite les opérations selon leur apparence juridique, l’analyste financier s’intéressera à leur réalité économique.
Le retraitement du crédit-bail
Le crédit bail est un contrat de location, qui prévoit pour le locataire la possibilité d’acquérir le bien pour un montant symbolique à la fin du contrat (option d’achat). Tant que cette option d’achat n’est pas exercée, l’entreprise n’est pas juridiquement considérée comme le propriétaire du bien.
De ce fait, en comptabilité générale, aucune immobilisation n’apparaît à l’actif de l’entreprise. Le loyer versé périodiquement est, quant à lui, comptabilisé comme une charge d’exploitation.
En réalité, d’un point de vue économique, le crédit-bail est un moyen de financement, au même titre que l’obtention d’un prêt bancaire.
C’est pourquoi l’analyste financier souhaitera faire apparaître à l’actif du bilan la valeur du bien « acquis » grâce au crédit-bail.
En contrepartie, une dette financière de même montant sera constatée au passif.
Le bien exploité en crédit-bail sera ensuite amorti sur sa durée d’utilisation probable alors que le loyer de crédit-bail sera décomposé en remboursement de l’emprunt et charge d’intérêts.
Exemple d’un photocopieur d’une valeur de 3 000 € et financé par crédit bail sur 5 ans (loyer annuel de 791 €) :
Au bilan, le retraitement initial sera le suivant : + 3 000 € à l’actif en immobilisations corporelles et + 3 000 € au passif en dettes financières. Puis, en considérant par simplification que le remboursement de la dette est égal à l’amortissement, on constatera un amortissement de 600 € et un remboursement de la dette du même montant.
Au compte de résultat, on remplacera le loyer de 791 € par une dotation aux amortissements de 600 € et une charge d’intérêts de 191 €.
NB : ce retraitement améliore le résultat d’exploitation (une part des charges d’exploitation est transférée dans le résultat financier) mais peut détériorer les ratios de rentabilité économique (augmentation des emplois stables).
Le retraitement des effets escomptés non échus
L’escompte d’effets de commerce consiste à céder des créances commerciales à un banquier avant leur date d’échéance. Cette technique permet à l’entreprise de disposer immédiatement de liquidités pour faire face à ses besoins de trésorerie.
Comptablement, on considère que ces créances ont été cédées et ne font plus partie du patrimoine de l’entreprise. Elles ont donc été « sorties » de l’actif en contrepartie d’une augmentation et des liquidités et de quelques charges financières.
Là encore, l’analyste financier souhaitera retraiter cette opération comme s’il s’agissait d’un prêt à court terme. Il réintégrera ainsi le montant des créances escomptées non échues à l’actif du bilan par contrepartie d’un passif de trésorerie (concours bancaires courants).
Le retraitement des actifs fictifs
Pour certains types de charges, les entreprises disposent d’une marge de manœuvre et peuvent choisir de les comptabiliser en charges (diminution immédiate du résultat) ou en actif (diminution étalée dans le temps par le biais des amortissements) : frais de R&D, frais d’établissement, frais d’émission d’emprunts, etc … En cas d’insuffisance du bénéfice comptable, elles peuvent donc choisir de les retirer des charges et de les porter à l’actif du bilan.
Toutefois, pour l’analyste financier, ces actifs sont « fictifs » en ce sens qu’ils n’ont aucune valeur économique. Ils seront donc retirés de l’actif et réintégrés en charge pour les montants activés sur l’exercice. Les montants activés lors d’exercices antérieurs seront également retirés de l’actif mais par contrepartie des capitaux propres. Enfin, le montant des dotations aux amortissements concernant ces actifs sera annulé au compte de résultat.
Dans la suite du cours, lorsque nous parlerons des comptes annuels de l’entreprise, nous supposerons que ceux-ci ont été retraités.
4. Les étapes du diagnostic
Les documents financiers et non financiers ainsi collectés vont ensuite être analysés selon plusieurs méthodes complémentaires, chacune apportant un éclairage différent sur un aspect de la situation de l’entreprise, en particulier sur sa performance et sur sa solidité. En résumé, la démarche du diagnostic est la suivante :
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